Des milliers de travailleurs au Québec résistent à l’assaut patronal sur leurs conditions de travail

Selon les données du ministère provincial du Travail, il y avait, en date du 8 juillet dernier, 48 grèves ou lock-out impliquant plus de 10.000 travailleurs au Québec. Ce nombre important indique une forte hausse de la résistance ouvrière à l’assaut patronal sur les conditions de travail.

Les travailleurs de Rolls-Royce toujours en lock-out

Les 530 travailleurs qui entretiennent des moteurs d’avions pour Rolls-Royce Canada à Lachine sur l’île de Montréal sont toujours en lock-out. Ils ont voté à 94% en faveur d’une grève le 15 mars dernier. En réponse, l’employeur les a placés en lock-out la journée même. Sans contrat de travail depuis mars 2020, les travailleurs s’opposent aux tentatives de Rolls-Royce de mettre fin au régime de retraite à prestations déterminées et de geler les salaires pour les années 2020 et 2021. Ils réclament également des améliorations à leurs conditions de travail.

En réponse, l’entreprise a recours à des briseurs de grève et tente de faire condamner 150 employés en lock-out pour outrage au tribunal en les accusant d’avoir contrevenu aux injonctions émises par les tribunaux pro-patronaux pour limiter le piquetage.

Poursuite de la grève à la Mine Raglan

La grève générale illimitée des 630 travailleurs de la Mine Raglan dans le Nord du Québec se poursuit. L’arrêt de travail a été déclenché le 27 maiaprès un vote favorable à la grève dans une proportion de 97.5%. Les travailleurs réclament des conditions de travail décentes, de meilleurs salaires et un régime de vacances bonifié.

Des mineurs de Raglan en grève portant des pancartes où c’est écrit: «Glencore doit respecter les droits des travailleurs» (Photo: IndustriALL union)

La sous-traitance est aussi un enjeu important: près de la moitié des 1.200 employés de la mine travaillent pour un tiers. Cette pratique permet à l’opérateur de la mine, la multinationale Glencore, de faire des économies importantes, tout en abaissant ainsi les salaires et les conditions de travail.

Glencore est une société extrêmement profitable. En 2021, surfant sur le prix élevé des métaux, dont le nickel extrait à la Mine Raglan, Glencore a enregistré des profits nets de plus de 9 milliards de dollars américains qui ont servi à enterrer des accusations de manipulation des marchés (1,5 milliard) et à enrichir les actionnaires (4 milliards en dividendes) ainsi que les dirigeants (10,4 millions rien que pour le PDG Gary Nagle).

Les travailleurs de la Mine Raglan sont représentés par le syndicat des Métallos, affilié à la Fédération des travailleurs du Québec (FTQ). Forcée de déclencher la grève devant la détermination des travailleurs, la bureaucratie syndicale est bien décidée à isoler la lutte des travailleurs. Plutôt que de mobiliser les 60.000 membres des Métallos ou les 600.000 membres de la FTQ, elle a cherché à isoler la lutte: seulement 3 manifestations limitées ont été organisées par le syndicat, la dernière ayant eu lieu il y a plus d’un mois, le 14 juin.

Le 7 juillet, les négociateurs syndicaux ont quitté la table de négociation en prétextant la «mauvaise foi» de la partie patronale. Le 10 juillet, l’entreprise a présenté une nouvelle «offre globale» dont le contenu est inconnu. Les Métallos ont jusqu’au 20 juillet pour étudier cette offre et décider de la soumettre ou non à un vote de leurs membres.

Grève chez Agropur

Le 29 juin, les 250 travailleurs de l’usine d’Agropur à Granby, ville située 100 km à l’est de Montréal, ont déclenché une grève générale illimitée. Leur convention collective est échue depuis plus d’un an et le principal enjeu des négociations est les horaires de travail.

En 2021, Agropur, une coopérative possédée par environ 375 producteurs, a réalisé des revenus nets de 274 millions de dollars, une augmentation importante par rapport aux 39 millions de 2020. Lors de l’assemblée annuelle, son président Roger Massicotte a attribué la «rentabilité accrue» d’Agropur à «des mesures de contrôle des coûts efficaces». De toute évidence, ces «mesures efficaces» incluent des attaques sur les conditions des travailleurs.

Selon le syndicat qui représente les travailleurs, affilié à la Centrale des syndicats démocratiques (CSD), l’employeur veut modifier des horaires de travail qui sont en place depuis les années 1980. Il voudrait notamment allonger les journées de travail de 8h à 12h et prévoir des horaires différents selon les journées de la semaine, compliquant ainsi la conciliation famille-travail. Agropur a pratiquement confirmé ces accusations en déclarant qu’elle voulait plus de «flexibilité».

Quelques jours après le début de la grève, les grands médias ont publié une série d’articles alarmistes sur des millions de litres de lait qui auraient été jetés car ils ne pouvaient pas être traités à l’usine de Granby, laquelle transforme 800.000 litres de lait par jour, soit 10% de toute la production au Québec. Rappelant la campagne de l’été dernier sur le sort des poulets euthanasiésen raison de la grève à l’usine d’Exceldor de Saint-Anselme, ces récits de «gaspillage» de lait visent à amener les travailleurs à faire des compromis ou à justifier une intervention du gouvernement du Québec en faveur de l’entreprise.

Préparant déjà une capitulation, le 8 juillet, quelques jours après la parution de ces articles, le syndicat a proposé d’interrompre la grève si Agropur renonçait à ses demandes concernant les horaires. Cette proposition aurait renvoyé les travailleurs à l’usine pendant que le syndicat et Agropur négociaient les autres points en litige.

Signe de l’importance qu’elle accorde à la destruction des horaires de travail décents, Agropur n’a pas répondu à cette offre. Les parties ont cependant repris les négociations le 12 juillet et, le lendemain, Agropur a déposé une «proposition» dont le contenu n’est pas encore connu.

Unifor trahit la lutte des employés de Via Rail

Le 12 juillet, le syndicat Unifor représentant les 2.400 employés de Via Rail – un transporteur ferroviaire de passagers, constitué en société d’État, qui dessert les grandes villes canadiennes – a annoncé qu’une entente de principe avait été conclue avec l’employeur. Même si les travailleurs n’ont pas vu l’entente et encore moins voté à son sujet, Unifor a titré son communiqué de presse «grève évitée», démontrant encore une fois le mépris des bureaucrates syndicaux pour la volonté et les droits démocratiques des membres.

Faisant face à plusieurs demandes de concessions de la part de l’employeur pour le renouvellement de leur convention collective, notamment en matière de sécurité d’emploi, les 2.400 travailleurs œuvrant dans les gares, les trains, les centres d’entretien, le service à la clientèle et les bureaux administratifs avaient voté à 99% en faveur de la grève lors d’un scrutin tenu entre le 20 juin et le 1er juillet.

Unifor, le plus grand syndicat du secteur privé au Canada, a tardé à donner suite à ce vote écrasant. Ce n’est que le 8 juillet qu’il a donné un avis de grève pour un arrêt de travail de 72 heures à compter de 00h01 le lundi 11 juillet. Quelques heures avant le déclenchement de la grève, Unifor en a repoussé le début à 16h le lundi, puis à 18h, à 20h et, finalement, à minuit dans la nuit de lundi à mardi, afin de permettre des négociations de dernière minute. Une entente de principe a été annoncée dans la nuit de mardi.

Le syndicat n’a donné aucune information sur son contenu, déclarant que «les détails du nouveau contrat seront publiés une fois que l’accord aura été ratifié par les membres». La grève a cependant été annulée et les travailleurs demeureront donc en poste jusqu’au vote de ratification, dont la date n’est pas connue.

Rappelons que l’ancien dirigeant d’Unifor, Jerry Dias, a été forcé de démissionner de la présidence du syndicat en mars dernier après avoir été accusé d’avoir utilisé ses liens avec le patronat pour s’enrichir personnellement pendant la pandémie. Il est maintenant la cible d’une enquête policièreen rapport avec ces allégations.

Les conflits de travail chez Rolls-Royce, à la Mine Raglan, chez Agropur et chez Via Rail sont quelques exemples d’un militantisme grandissant au sein de la classe ouvrière québécoise et canadienne, participant à une résurgence de la lutte des classes au niveau international.

Peu importe leur nationalité ou leur langue, les travailleurs sont confrontés partout aux mêmes problèmes fondamentaux: la pandémie de COVID-19 hors de contrôle, l’inflation galopante, la dégradation des conditions de travail, les inégalités sociales criantes et le détournement de vastes ressources pour la guerre.

Cependant, comme le démontre la trahison de la lutte des travailleurs de Via Rail par Unifor, ainsi que le comportement des bureaucrates syndicaux impliqués dans les négociations chez Agropur et à la Mine Raglan, la classe ouvrière ne peut pas régler ces problèmes sans d’abord gagner son indépendance des syndicats corrompus qui jouent le rôle de police industrielle au service du patronat et de l’État capitaliste.

La réponse des syndicats à la pandémie et à la crise la plus intense du capitalisme mondial depuis les années 30 a été de renforcer la politique de collaboration avec la grande entreprise qu’ils appliquent depuis des décennies pour étouffer l’opposition des membres de la base aux concessions sans fin.

Au début de la pandémie de COVID-19, les syndicats ont soutenu le renflouement des entreprises par les gouvernements à coups de centaines de milliards de dollars tirés des fonds publics. Puis ils ont aidé la classe dirigeante à en faire porter tout le poids sur la classe ouvrière en imposant un retour au travail alors que le coronavirus continuait de faire rage, créant les conditions pour sept vagues mortelles de la pandémie. Et c’est avec le plein appui des syndicats canadiens, y compris ceux du Québec, qu’une alliance gouvernementale a été conclue au niveau fédéral entre les libéraux et le NDP social-démocrate pour mener la guerre et l’austérité capitaliste.

Les travailleurs du Québec doivent construire leurs propres comités de la base, en opposition aux syndicats pro-capitalistes, et se tourner vers les travailleurs en lutte dans le reste du Canada, aux États-Unis et outremer. L’objectif doit être une lutte unifiée des travailleurs, en tant que force politique indépendante pour la défense des salaires, des pensions et des programmes sociaux et pour une politique d’élimination de la COVID basée sur la science.

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