Bloodlands de Timothy Snyder: de la propagande de droite déguisée en recherche historique – Deuxième partie

La falsification de la Grande Terreur par Snyder

Partie I | Partie II | Partie III | Partie IV | Partie V

Ceci est la deuxième partie d'une critique du livre Bloodlands de Timothy Snyder . La première partie est ici .

Parallèlement au faux portrait de la famine en Union soviétique comme d’un acte délibéré de meurtre de masse visant les Ukrainiens, la fausse description de la Grande Terreur par Snyder comme d’une campagne d'assassinats ciblant la nationalité et l’ethnie est au cœur de sa tentative de faire des crimes du fascisme une réaction à ceux du « communisme» et une simple copie de ceux-ci.

Snyder affirme que la Grande Terreur, au cours de laquelle un million de citoyens soviétiques ont été tués, était « principalement une action anti-koulak qui toucha le plus durement l'Ukraine soviétique et une suite d'actions nationales dont la plus importante visait les Polonais, où encore une fois l'Ukraine soviétique fut la région la plus touchée. (p.107)

La base principale des affirmations de Snyder sont deux opérations des services secrets soviétiques NKVD: l'ordonnance n° 00447, l'ordre dit « anti-koulak » du 30 juillet 1937, et l'ordre n° 00485, à la base de l’opération « polonaise » du 11 août 1937. Ensemble, ces deux opérations ont fait le plus grand nombre de victimes totales durant la Grande Terreur. L'ordonnance n° 00447 servit de base à la persécution de près de 800 000 personnes entre août 1937 et novembre 1938; environ 350 000 d'entre elles étant exécutées. On estime que « l'opération polonaise » a fait près de 140 000 victimes, dont plus de 111 000 morts. C'était la plus grande des soi-disant «opérations de nationalités» du NKVD.

Snyder non seulement falsifie le caractère de ces ordres et leur mise en œuvre, mais les arrache également à leur contexte historique. Encore une fois, sa sélection de faits et de catégories est non seulement truffée d'erreurs mais complètement arbitraire.

La Grande Terreur est l'un des chapitres les plus épouvantables et les plus complexes de l'histoire moderne. Parmi les victimes figuraient des membres d'un grand nombre de nationalités, des sans-abri et des chômeurs, des personnes qualifiées de «koulaks» (souvent de simples paysans), un grand nombre d'ouvriers, d'artistes, de scientifiques, d'ingénieurs et, en particulier, des centaines de milliers des membres du Parti communiste soviétique et de la Troisième Internationale (communiste) (Komintern). En effet, c'est ce dernier groupe qui est la cible la plus connue de la Terreur, et c'est la clé pour comprendre son caractère. Pourtant, Snyder, sans aucune tentative d'explication, ignore pratiquement cette catégorie de victimes, ainsi que pratiquement toutes celles qui n'entre pas dans la catégorie des « koulaks », des Ukrainiens et des Polonais. (Même ces catégories, comme nous le verrons, sont arbitrairement et incorrectement utilisées par Snyder.)

Les procès de Moscou et le génocide politique en URSS

Snyder ignore pratiquement le début de la Grande Terreur et son aspect le plus infâme: les procès de Moscou, qui commencèrent en août 1936 et durèrent jusqu'en mars 1938. Dans ces procès, les dirigeants les plus éminents de la Révolution d'octobre furent accusés de « sabotage contre-révolutionnaire » et traînés dans la boue devant l'opinion publique mondiale avant d'être exécutés. Snyder traite des procès de Moscou en moins d'une page et donne l'impression qu'il y avait tout juste trois accusés: Lev Kamenev, Grigory Zinoviev et Nikolai Boukharine. Il omet le détail « mineur » que Léon Trotsky et Lev Sedov, son fils et plus proche collaborateur, furent les principaux accusés de ces procès et que Trotsky fut assassiné en 1940 par un agent stalinien. (La mort de Sedov en 1938 était également le résultat d'une opération de la Gépéou visant à assassiner Trotsky et ses camarades les plus proches.)

Aucun des autres accusés n'est non plus mentionné. Parmi eux se trouvaient Grigory Piatakov, Evgueni Preobrazhensky, Karl Radek, Nikolai Muralov, Vagarshak Ter-Vaganian, Christian Rakovsky et des dizaines d'autres membres du Comité central du parti bolchevique dirigé par Lénine, qui soutinrent ensuite l'Opposition de gauche, mais succombèrent finalement aux immenses pressions politiques et sociales de la bureaucratie et abandonnèrent la lutte de l'opposition.

Aucun ouvrage sérieux sur la Grande Terreur ne peut se permettre d'ignorer ces noms. Mais les mentionner irait à l'encontre des efforts de Snyder pour dissimuler le contenu politique et le caractère de la Terreur et pour la présenter à la fois comme le résultat direct de la Révolution d'octobre et comme un précurseur de la politique génocidaire des nazis.

Léon Trotsky consulte son avocat Albert Goldman lors des audiences de la Commission Dewey à Coyoacan, au Mexique. Sa femme Natalia est à sa gauche.

Ces omissions sont d'autant plus cruciales qu'il n'y a peut-être pas d'autre crime du stalinisme qui invite à une comparaison aussi directe avec le régime nazi que la Grande Terreur. Contrairement à la famine soviétique, il ne fait aucun doute qu'au cœur de la Grande Terreur se trouvait une politique délibérée de meurtre de masse. La documentation est écrasante sur les quotas de milliers de meurtres, les listes de personnes à fusiller, les camps et les prisons dans toute l'Union soviétique. Dans de nombreux cas, y compris mais pas seulement les procès de Moscou, les directives remontent directement à Joseph Staline.

« Liste des personnes à fusiller » pour Leningrad, du 1er avril 1937. La liste comprend les noms des personnes devant être « jugées par le tribunal militaire spécial de la Cour suprême de l'URSS ». Cent quarante-cinq personnes devaient être fusillées, 50 condamnées à 10 ans de prison et une à une peine de cinq à huit ans de prison. Le document porte les signatures de Staline, Vorochilov, Kaganovitch, Zhdanov et Molotov. Arkhiv Présidenta Rossiiskoï federatsii , op. 24, delo 409, liste 54.

Il convient d'ailleurs de parler de génocide dans le contexte de la Terreur. Mais ce ne fut pas un meurtre de masse ciblant une ethnie, comme le suggère Snyder. Il s'agissait plutôt, comme l'a défini le chercheur soviétique Vadim Rogovin, d'un acte de « génocide politique ». [1]

Le mélange d'isolement international et d’économie arriérée avait conduit à l'émergence de la bureaucratie soviétique en tant que caste privilégiée et parasitaire dans le corps de l' État ouvrier. Son existence même et son programme nationaliste de « socialisme dans un seul pays » violaient les principes fondamentaux d'égalité et d'internationalisme de la Révolution d'octobre. Afin de consolider sa position précaire, elle a cherché à liquider non seulement tous les révolutionnaires, mais encore tous ceux qui avaient eu un lien avec et un souvenir de la Révolution d'octobre et des institutions politiques et étatiques qu’elle avait engendrées. Cela comprenait aussi une bonne partie de la l'appareil d'État soviétique, en particulier de l'Armée rouge et le mouvement ouvrier international dans son ensemble.

Ce motif moteur a été reconnu avec précision par Léon Trotsky, qui écrivait en octobre 1937, au plus fort de la terreur :

Personne, sans exclure Hitler, n'a porté au socialisme des coups aussi meurtriers que Staline. Ce n'est guère étonnant puisque Hitler a attaqué les organisations ouvrières de l'extérieur, alors que Staline le fait de l'intérieur. Hitler attaque le marxisme. Staline non seulement l'agresse mais le prostitue. Pas un seul principe n'est resté indemne, pas une seule idée n'est restée sans souillure. Les noms mêmes de socialisme et de communisme ont été cruellement compromis depuis le jour où des policiers incontrôlés vivant d'un passeport « communiste » ont donné le nom de socialisme à leur régime policier. …

Le sens social et politique de la purge est clair: la couche dirigeante éjecte de son sein tous ceux qui lui rappellent son passé révolutionnaire, les principes du socialisme, de la liberté, de l'égalité, de la fraternité et les tâches non résolues de la révolution mondiale. La bestialité des répressions témoigne de la haine que la caste privilégiée porte aux révolutionnaires. En ce sens, la purge augmente l'homogénéité de la couche dirigeante et semble renforcer la position de Staline. [2]

Même pour Trotsky, l'ampleur de ces purges – dont la plupart n'ont jamais été rendues publiques, contrairement aux procès de Moscou – était difficile à concevoir. En raison de la dissimulation systématique de la Grande Terreur par l'appareil d'État contrôlé par les staliniens, elle n'a en fait pas été comprise pendant de nombreuses décennies. Ses implications sont difficiles à comprendre même aujourd'hui, car les traditions politiques et intellectuelles dont les porteurs ont été assassinés par le stalinisme doivent encore être pleinement récupérées et réintroduites dans la conscience historique de la classe ouvrière.

Tableaux avec les noms de ceux qui ont été exécutés sur le site de tir de Kommunarka près de Moscou (c) WSWS Media [Photo : WSWS]

Des charniers avec des milliers de victimes n'ont été exhumés que dans les années 1990. Beaucoup restent à découvrir à ce jour. Les documents clés de la terreur, comme les ordonnances n° 00447 et n° 00485, n'ont été publiés que bien après la dissolution de l'Union soviétique en 1991. L'ordonnance n° 00447, par exemple, fut imprimée dans son intégralité pour la première fois en 1996. Seule une petite partie des documents d'archives sur la terreur et ses victimes, pour la plupart encore détenus et contrôlés par les services secrets russes, le FSB, successeur du NKVD, a été mis à disposition et examiné par des chercheurs.

Les documents devenus accessibles depuis l'effondrement du stalinisme cependant, ne font qu'ajouter à l'évaluation marxiste de la Grande Terreur comme d’un génocide politique et la confirmer. Dans son faux récit de la terreur, Snyder induit à nouveau ses lecteurs en erreur sur ce que la recherche historique a effectivement établi.

L’Ordonnance N° 00447

L'ordonnance n° 00447, publiée le 30 juillet 1937, a constitué la base de la plus grande opération de masse du NKVD pendant la terreur. Les institutions extrajudiciaires, la tristement célèbre troïka (« groupe de trois personnes » en russe), condamnaient les accusés sans le moindre semblant de procès, signant souvent des centaines de verdicts, y compris des condamnations à mort, en une heure, sur la base de dossiers et de faux témoignages ayant été compilés par le NKVD, et d’« aveux » le plus souvent arrachés sous la torture.

Un extrait de l’Ordonnance n° 00447

Les historiens allemands Bernd Bonwetsch, Marc Junge et Rolf Binner, ont dressé une vaste documentation sur la manière dont cet ordre avait été mis en œuvre dans diverses parties de l'Union soviétique. Si Snyder fait référence à leur travail, il omet les principales conclusions de leurs recherches chaque fois qu'elles contredisent son « récit ».

Si ceux fichés comme « koulaks » par le NKVD au début des années 1930 et après figuraient certainement parmi les cibles, il est tout à fait trompeur de présenter l'opération comme ciblant uniquement les « koulaks ». Premièrement, la classification de « koulaks » est notoirement problématique. Elle était souvent utilisée au hasard et employée pour cibler des opposants politiques réels ou présumés ainsi que de simples paysans. Mais surtout, l'ordonnance n° 00447 ne visait pas juste les « koulaks ». Un groupe important de victimes, surtout au début, étaient en fait des personnes sans aucun métier; un autre groupe était composé de personnes ayant violé le code pénal soviétique par le vol ou d'autres infractions. Mais un très grand nombre des personnes visées dans le cadre de l'ordonnance n° 00447 étaient des opposants politiques présumés ou réels de la bureaucratie.

Ainsi, plusieurs des plus grandes exécutions de masse d'anciens opposants politiques, y compris des massacres de dirigeants trotskystes des années 1930, eurent lieu dans le cadre de l'ordonnance n° 00447. Celles-ci sont complètement omises du récit de Snyder, même si ses sources fournissent de nombreux éléments sur ces persécutions politiques.

Bonwetsch, Junge et Binner ont montré en détail comment ces persécutions politiques se sont développées dans le cadre de l’application de l'ordonnance n° 00447. Les divisions régionales du NKVD reçevaient de Moscou des quotas d'arrestations et d'exécutions, qu'elles devaient remplir dans leurs zones respectives. Mais les divisions régionales et locales du NKVD avaient le droit de faire appel à Moscou pour des «corrections» de ces quotas et faisaient fréquemment usage de ce droit. Ainsi, l'ordre avait exigé d’exécuter un total de 75 890 personnes, dont des prisonniers des camps de travail (goulags) et d'emprisonner 193 000 personnes dans des camps et des prisons. Au bout du compte cependant, environ 350 000 personnes furent exécutées en vertu de l'ordonnance n° 00447 et près de 800 000 persécutées au total.

Bon nombre des «corrections» les plus importantes que les responsables locaux du NKVD ont proposées aux quotas venant de Moscou sur la base de l'ordonnance n ° 00447 concernaient des camps et des prisons politiques dans lesquels des opposants étaient incarcérés. Dans l'ensemble, le chiffre des exécutions dans les camps fut « corrigé à la hausse » par trois: le quota initialement proposé de 10 000 fut la base pour fusiller 30 178 personnes.

Il y avait aussi des exécutions en masse de prisonniers dans les soi-disant camps d’isolement politique, où 60 pour cent des prisonniers avaient été membres du parti. Ainsi, lors d'une réunion de la « troïka » à Yaroslavl le 3 septembre 1937, 28 prisonniers politiques ont été condamnés à mort pour « des protestations collectives, la diffusion de tracts, la violation du règlement de la prison, la poursuite de la lutte politique, l’organisation de grèves de la faim, des tentatives de suicide ». [3]

Au camp d’isolement politique d'Uchtinsko-Petsorksii dans la république de Komi, les responsables locaux ont donné l'ordre le 30 août 1937 de cibler en priorité « les organisateurs de grèves de la faim et les personnes refusant de travailler, ainsi que les prisonniers qui mènent des agitations contre-révolutionnaires, et corrompent les prisonniers et les fuyards ». [4] Beaucoup sinon la plupart des grèves de la faim de cette période ont été menées par des trotskystes. En effet, il apparaît que les plus grands massacres de trotskystes actifs, c'est-à-dire de combattants de l'Opposition de gauche qui n'avaient pas capitulé devant le stalinisme, se sont produits dans le cadre de l'ordonnance n° 00447.

Parmi les dirigeants de l'opposition soviétique assassinés lors du « nettoyage » des camps et des prisons en 1937-1938 figuraient les deux derniers des quatre secrétaires de Trotsky des années 1920 encore en vie: Nikolai Martynovich Sermuks, qui fut exécuté lors d'une fusillade de masse à Magadan sur la Kolyma le 25 octobre 1937, et Igor Moiseevich Poznansky, exécuté en tant que prisonnier de l' Ukhtpechlag du NKVD le 30 mars 1938.

Le 1er mars 1938, l'un des plus grands massacres de trotskystes de l'histoire a eu lieu lorsque 173 prisonniers furent sommairement exécutés par balles dans le dos dans le camp de Vorkouta. Ils avaient mené une grève de la faim dans l'Ukhtpechlag qui avait duré du 18 octobre 1936 au 13 février 1937, une période incroyable de cinq mois. Parmi les personnes abattues ce jour-là figuraient Viktor Borisovitch Eltsine, qui avait été l'un des éditeurs des Œuvres complètes de Trotsky dans les années 1920, et était le fils du vieux bolchevik et ancien secrétaire général de l'Opposition de gauche, Boris Eltsine. Parmi les victimes du massacre figuraient également Grigory Yakovin et Sokrat Gevorkian. [5]

Dirigeants exilés de l'Opposition de gauche soviétique en 1928, dont Viktor Eltsine (en haut à droite) et Igor Poznanskii (au milieu à gauche) [Photo : MS Russ 13 (T 1086), Houghton Library, Harvard University, Cambridge, Massachusetts] [Photo: MS Russ 13 (T 1086), Houghton Library, Harvard University, Cambridge, Massachusetts]

Tous – Sermuks, Poznansky, Eltsin, Yakovin et Gevorkian – avaient été des dirigeants de l'opposition soviétique dans les années 1930 et, à l'exception de Sermuks, ils sont connus pour avoir co-écrit et co-signé les documents de l'Opposition de gauche dénonçant la politique de collectivisation forcée de masse au début des années 1930. Mais pour le professeur Snyder, il est clair que leur meurtre est aussi peu important que leur lutte politique.

Une autre fusillade de masse tristement célèbre, celle de 1111 prisonniers du camp de Solovki dans la forêt de Carélie à l'occasion du 20e anniversaire de la Révolution d'octobre, en octobre 1937, a également eu lieu dans le cadre de l'ordonnance n° 00447. Parmi les victimes figuraient d'éminents vieux bolcheviks et d'anciens opposants de la Russie soviétique et des pays baltes. Ceux-ci comprenaient Nazdezhda Smilga-Poluyan, une vieille bolchevik, l’épouse d'Ivar Smilga, l'un des principaux dirigeants de la Révolution d'Octobre et de l'Opposition de gauche dans les années 1920; les vieux bolcheviks Grigory Shklovsky et Georgy Yakovenko, qui avaient signé les déclarations de l'Opposition de gauche dans les années 1920; et Martin Yakobson et Aleksandr Blaufel'd, deux vieux bolcheviks estoniens, combattants pour le socialisme depuis la révolution de 1905. Au total, sur les 1627 prisonniers de Solovki exécutés cette année-là, 1448 avaient été emprisonnés sur la base d'accusations de « crimes contre-révolutionnaires » (article 58). Parmi ceux-ci, 780 avaient été accusés d'«activités trotskystes ». [6]

L'ordonnance ne devait officiellement durer que jusqu'à la fin de 1937, mais fut prolongée au début de 1938. Les principales cibles furent alors officiellement nommées «autres éléments contre-révolutionnaires». D’anciens anarchistes, mencheviks et socialistes-révolutionnaires étaient désormais parmi les personnes les plus fréquemment arrêtées et exécutées. À ce stade, la bureaucratie stalinienne avait commencé à s'engager dans un assaut en règle contre toutes les différentes tendances du mouvement ouvrier et socialiste. Aucun de ces faits n'a trouvé sa place dans le Bloodlands de Snyderparce qu'ils discréditent ses fausses affirmations d'une «terreur de classe», dirigée principalement contre les «koulaks».

Ordonnance N° 00485

L'ordonnance n° 00485 a constitué la base de « l'opération polonaise », la plus importante des soi-disant « opérations sur les nationalités » du NKVD. La falsification de cette ordonnance par Snyder et sa mise en œuvre sont, si cela est possible, encore plus grossières. Minimisant explicitement la persécution nazie des Juifs, il écrit:

En 1937 et 1938, un quart de million de citoyens soviétiques ont été fusillés pour des motifs essentiellement ethniques. [. ...] l'Union soviétique à la fin des années 1930 était une terre de persécutions nationales inégalées.[ ...] La minorité nationale européenne la plus persécutée dans la seconde moitié des années 1930 n'était pas les quelque quatre cent mille Juifs allemands (le nombre diminuant à cause de l'émigration) mais les quelque six cent mille Polonais soviétiques (le nombre diminuant à cause des exécutions.) Staline était un pionnier du meurtre de masse national, et les Polonais étaient la victime prééminente parmi les nationalités soviétiques. (p. 89)

Nous examinerons plus en détail la minimisation consciente par Snyder de la persécution nazie des Juifs dans la quatrième partie de cette critique. Pour l'instant, il faut dire clairement que la comparaison entre l'opération polonaise du NKVD et la persécution raciale de la population juive d'Allemagne par les nazis manque de fondements historiques.

Les propres sources référencées par Snyder contredisent son évaluation de «l'opération polonaise». Un précieux essai de James Morris sur « l'opération polonaise » est référencé au moins trois fois, mais dans deux de ces cas, les citations de Snyder sont trompeuses.

Dans une des références, il cite Morris pour étayer ses calculs sur les victimes de l'opération polonaise, affirmant que les calculs de Morris sur les victimes étaient «presque identiques» aux siens. [7] Mais la page référencée par Snyder chez Morris n'étaye pas ses calculs. Au lieu de cela, elle comprend un passage qui réfute directement l'évaluation par Snyder de l'opération polonaise comme d’un acte de nettoyage ethnique quasi génocidaire. Morris note que les troïkas ont examiné 26,2 pour cent de tous les cas de l'opération polonaise. Cependant, seuls 54,7 pour cent d'entre eux concernaient des Polonais de souche. Il écrit:

Ces chiffres montrent que de nombreuses victimes de l'opération polonaise n'étaient pas des Polonais de souche. Ainsi, l'opération polonaise n'était pas une tentative systématique de nettoyer l'Union soviétique des polonais. En fait, la population polonaise de l'URSS n'a diminué que de 1,0 pour cent entre 1937 et 1939, à une époque où la population soviétique totale augmentait de 4,1 pour cent. Il serait d'une grande utilité de connaître la répartition ethnique des victimes de l'opération polonaise par région. Il est probable que la composition ethnique variait considérablement d'une région à l'autre, puisque les Polonais étaient les plus représentés dans l'ouest de l'Union soviétique, mais les victimes de l'opération étaient réparties plus uniformément dans ce grand État multinational. Ainsi, l'opération polonaise était très probablement une affaire très différente en Sibérie qu'elle ne l'était en Ukraine. Des recherches supplémentaires sont nécessaires sur la nature de l'opération polonaise afin de tirer des conclusions définitives sur son véritable caractère. Cependant, il est clair que l'opération comportait une importante composante non ethnique, ce qui exclut de la qualifier de simple manifestation de xénophobie. [ ...] Les témoignages montrent que l'opération polonaise était une persécution aveugle contre des éléments potentiellement hostiles. Des personnes ayant le moindre lien avec l'étranger, y compris de nombreux non-Polonais, ont été arrêtées et abattues lors de cette opération. [8]

Cette évaluation est confirmée par Nikolai Petrov et Arseny Roginsky, deux des historiens russes les plus experts de la Grande Terreur, qui de plus sont tous deux des anti-communistes. Si Snyder prétend à nouveau s'appuyer sur eux, ils ont en fait également insisté sur le fait que les statistiques disponibles empêchaient de conclure que «l'opération polonaise» était un acte de génocide national. Ils ont écrit:

… même au cours des derniers mois de répression de masse, nos informations sur l'affiliation nationale des personnes arrêtées sont forcément incomplètes. A notre avis, les seuls chiffres fiables ne sont pas non plus complets: ils n'incluent pas de chiffres définitifs sur le nombre total d'arrestations, mais seulement ceux qui ont été condamnés par des troïkas spéciales dans la période de septembre à novembre 1938. Ces statistiques semblent confirmer la thèse selon laquelle il serait faux d’assimiler les « Polonais » à « l'opération Polonaise ». Au cours deces trois mois, une troïka spéciale a condamné au total 105 032 personnes arrêtées au cours de toutes les opérations « nationales ». Le groupe national le plus important était celui des Polonais (21 258), suivi des Allemands (17 150), des Russes (15 684), des Ukrainiens (8 773) et des Biélorusses (5 716). « Polonais », dans ce cas, signifiait ceux qui étaient ainsi décrits dans leurs passeports et autres documents officiels ou déclarés comme tels sur décision aléatoire de l'équipe d'enquête du NKVD, qui a simplement écrit dans le dossier du prisonnier qu'il ou elle était Polonais. Sur ce chiffre total de 105 032, les condamnés lors de l'opération « polonaise » sont au nombre de 36 768.[ ...] Au cours de la même période, les Polonais ont également été victimes d'autres opérations « nationales », environ 500 lors du ratissage « allemand » et 209 lors du « letton ». [9]

Il ne fait aucun doute qu'il y avait un fort élément de xénophobie dans la terreur stalinienne. Mais la fausse présentation par Snyder d'une opération de « nettoyage ethnique » vise à dissimuler les motivations fondamentalement politiques de la terreur. Même l'éruption du racisme et de la xénophobie au sein de la bureaucratie ne peut être comprise que comme une expression particulièrement aiguë de la réaction nationaliste contre le socialisme international et le marxisme qui était au cœur de la terreur stalinienne. Le chauvinisme anti-polonais de la bureaucratie était intimement lié à sa profonde hostilité et à sa peur des traditions internationalistes incarnées dans le mouvement communiste polonais.

Malgré tout son discours sur les victimes polonaises de la Grande Terreur, il y a un groupe que Snyder omet complètement: les membres du Parti communiste polonais. Fondé en décembre 1918 par la fusion de la Social-démocratie polonaise et lituanienne (SDKPiL) de Rosa Luxembourg et de l'aile gauche du Parti socialiste polonais (PPS-Lewica), il fut l'un des partis communistes les plus influents et les plus importants d'Europe dans la période entre les deux guerres. Beaucoup de ses membres ont joué des rôles de premier plan soit dans le parti bolchevique, soit dans le parti communiste allemand, soit dans les deux. Plusieurs d'entre eux, dont Luxembourg elle-même, ainsi que Leo Jogiches, ont été tragiquement assassinés lors de la campagne de terreur blanche qui a suivi la défaite de la Révolution allemande de 1918/1919.

Malgré ses faiblesses politiques et son inexpérience, le PC polonais était imprégné des traditions de l'internationalisme et de la lutte de Rosa Luxembourg contre le réformisme. En 1924, le Comité central du Parti communiste polonais s'est rangé du côté de l'opposition de Trotsky en Union soviétique, ce que Staline ne lui a jamais pardonné. [10]

De plus, à partir de 1932, l'Opposition de gauche polonaise devint l'une des plus influentes d'Europe. Cette même année, la bureaucratie soviétique a lancé une campagne brutale pour calomnier Luxembourg, un article après l'autre dans la presse la dénonçant pour avoir développé des positions similaires à la théorie de la révolution permanente de Trotsky. [11]

Rosa Luxemburg

C'est pour ces raisons politiques que le PC polonais (KPP) devint l'une des principales cibles de l'assaut de la bureaucratie stalinienne contre le mouvement ouvrier socialiste dans la terreur. Avant même le début des premiers procès de Moscou en août 1936, écrit l'historien James Morris :

L'appareil du Komintern a commencé à passer en revue les membres du KPP et à aider le NKVD à repérer les émigrés politiques. Lacqueur estime que 5 000 communistes polonais vivaient en Union soviétique à cette époque et affirme que « la majorité a été arrêtée et tuée ». La culture de la dénonciation au sein du Parti communiste soviétique et du Komintern atteignit un nouveau niveau au printemps 1937. Lors du plénum de février-mars du Comité central, de nombreux vieux bolcheviks furent accusés d'appartenir à une conspiration terroriste trotskiste travaillant pour des gouvernements fascistes. Alors que le Parti communiste soviétique persécutait ses propres membres, le Komintern se retournait contre ses partis membres. Chase estime que 30 des 37 membres du Comité central du KPP ont été arrêtés à cette époque. Le Politburo du Comité central du KPP, situé à Paris à l'époque, fut rappelé à Moscou et arrêté en masse. À l'été 1937, le KPP était une institution moribonde et la grande majorité de ses dirigeants étaient en prison ou décédés. Pour des raisons encore obscures, le Présidium du Komintern attendit jusqu'en août 1938 pour dissoudre formellement le KPP, bien que Dimitrov ait déjà rédigé une résolution appelant à sa dissolution en novembre 1937. [12]

La campagne de meurtre de masse des communistes polonais impliquait également la destruction de leurs archives historiques. En Union soviétique, les livres et les revues qui avaient publié des documents sur l'histoire révolutionnaire du mouvement ouvrier polonais disparurent des étagères des bibliothèques, certains furent détruits. Rien de tout cela n’est mentionné par Snyder.

Adolf Warski, co-fondateur de la première social-démocratie polonaise puis du Parti communiste polonais, et collaborateur de longue date de Rosa Luxembourg et Leo Jogiches. Il fut arrêté et exécuté à Moscou en 1937.

Il faut souligner, en outre, que la concentration de Snyder sur l'opération polonaise est aussi artificielle et trompeuse que sa concentration presque exclusive sur l'Ukraine pendant la famine soviétique. Si l'opération polonaise était sans aucun doute la plus importante des opérations de nationalités, elle était loin d'être la seule. Il y eut des opérations nationales dirigées contre les Allemands, les Grecs, les Lettons et les Tatars, pour ne citer que quelques-unes des autres nationalités ciblées. Au cours de ces opérations et d'autres du NKVD, le Kremlin élimina la quasi-totalité des cadres du Komintern. Plus d'un tiers des trois mille émigrants communistes bulgares en URSS et la grande majorité des émigrants hongrois, dont la plupart avaient fui le fascisme en Hongrie, ont été tués dans la terreur – des groupes nationaux qui ne sont jamais mentionnés par Snyder. Comme l'a souligné Vadim Rogovin , « Au total, plus de communistes des pays d'Europe de l'Est ont été tués en Union soviétique que ceux morts chez eux dans leur propre pays pendant l'occupation hitlérienne. » [13]

Il est clair que ces victimes communistes du stalinisme – polonaises ou non – sont totalement indifférentes à Snyder qui les ignore totalement. Sa préoccupation pour les « Polonais » est celle des nationalistes polonais de droite dont l'indignation face à la terreur stalinienne s'arrête lorsqu'il s'agit du meurtre de marxistes et de révolutionnaires. En effet, un nombre impressionnant de sources de Snyder proviennent d'auteurs polonais de droite. [14]

Exemple particulièrement frappant du mariage de l'historiographie de droite polonaise et ukrainienne, qui constitue la base du récit de Snyder : l'une de ses principales sources d'«histoires d'horreur» sur la famine et l'opération polonaise est un volume publié par feu Roman Dzwonkowski. Ce prêtre catholique ordonné a obtenu un doctorat après avoir étudié la « philosophie du christianisme » mais n'avait aucune qualification en tant qu'historien. Dzwonkowski était également un contributeur régulier de la station de radio d'extrême droite polonaise Radio Maryia, connue pour son antisémitisme et son ultra-nationalisme.

Le volume cité par Snyder comprend des « comptes-rendus » d'entretiens avec des victimes enregistrés par un médecin ukrainien, Piotr Jaszscuk, de 1985 à 1995, c'est-à-dire plus d'un demi-siècle après les événements en question. Les entretiens avec des survivants et des témoins oculaires d'événements historiques, un domaine de l'historiographie connu sous le nom d'«histoire orale » et qui joue désormais un rôle important dans l'écriture de l'histoire du XXe siècle, soulèvent de sérieux problèmes méthodologiques. Les gens ont tendance à oublier et à se souvenir mal des détails, surtout lorsqu'une longue période de temps s'est écoulée et lorsque les événements en question ont un caractère traumatique. Cela n'invalide pas nécessairement les récits donnés par les survivants ou les témoins oculaires, mais tout historien consciencieux évaluera et expliquera soigneusement le contexte des événements rappelés, le parcours des personnes interrogées et la méthode avec laquelle les entretiens ont été menés.

Pourtant, dans ce volume, aucune information n'est fournie sur les méthodes employées par ce médecin ukrainien pour enregistrer ces entretiens. La seule chose que le lecteur apprend sur le contexte de cette initiative est que la publication de ces entretiens a été financée par une diaspora ukrainienne notoirement de droite aux États-Unis. [15]

Bref, en fait de source historique, ce volume est hautement discutable. À tout le moins, Snyder aurait dû informer ses lecteurs de l'origine de ces interviews. Mais Snyder non seulement ne discute pas correctement sa source, mais il la cite une fois de plus de manière erronée. Il n'y a pas moins de 12 références à ce sujet dans les chapitres sur la famine et l'opération polonaise, mais la moitié d'entre elles sont soit entièrement trompeuses, soit seulement partiellement correctes. Dans un cas, il cite le livre pour étayer le passage suivant: « Comme un Polonais s'en souvenait, les gens se couchaient chaque nuit sans savoir s'ils seraient réveillés par le soleil ou par le corbeau noir. » Mais la citation paraphrasée de Dzwonkowski vient d'un Polonais qui se souvient de ses expériences et de ses pensées de 1933 et 1934, c'est-à-dire pas de 1937-1938, et bien avant « l'opération polonaise ». [16] Dans un autre cas, Snyder a ajouté des détails à la description horrifiante d'un événement qui ne peuvent pas être trouvés dans le récit de la personne interrogée. Alors que Snyder prétend que l'homme a été arrêté juste au moment où «sa femme accouchait de leur fils» (p.102), l'interviewé lui-même indique que son arrestation a eu lieu peu de temps après. [17]

Le pacte Hitler-Staline

Dans sa discussion du pacte Hitler-Staline (également connu sous le nom de pacte Molotov-Ribbentrop) et de l'invasion de la Pologne par la Wehrmacht et l'Armée rouge en septembre 1939, Snyder répète également la ligne de la droite polonaise et dépeint le pacte comme un accord entre deux régimes prétendument impériaux et prédateurs.

Il écrit:

Les deux régimes ont immédiatement trouvé un terrain d'entente dans leur aspiration mutuelle à détruire la Pologne. Une fois qu'Hitler eut abandonné son espoir de recruter la Pologne pour combattre l'Union soviétique, la rhétorique nazie et soviétique sur le pays était difficile à distinguer. (p.116)

L'affirmation que Staline voulait « détruire la Pologne » reste totalement infondée. Snyder ne fournit pas non plus de preuves qui prouveraient que « la rhétorique nazie et soviétique sur le pays était difficile à distinguer ».

Molotov en train de signer le pacte Staline-Hitler de non-agression. Staline est au fond

Le pacte Molotov-Ribbentrop, du nom des ministres des Affaires étrangères allemand et soviétique qui l'ont signé le 23 août 1939, était un pacte formel de non-agression, garantissant supposément que l'Union soviétique et l'Allemagne nazie ne lanceraient pas d'attaque militaire l'une contre l'autre. Un protocole secret prévoyait la partition de la Pologne en deux zones d'influence en cas de « réaménagement territorial et politique » en Europe de l'Est. Les États baltes ainsi que la Biélorussie orientale et l'Ukraine occidentale, qui ne faisaient pas encore partie de l'Union soviétique en août 1939, seraient incorporés à l'URSS sur la base de ce pacte.

Aussi criminel que soit le pacte, il n'est pas vrai qu'il ait été motivé par la prétendue « aspiration de Staline à détruire la Pologne ». Il s'agissait bien plutôt d'une manœuvre politiquement banqueroutière du Kremlin visant à empêcher, ou du moins à retarder, l'attaque de l'Union soviétique par l'Allemagne nazie.

L'un des historiens allemands sur lesquels Snyder prétend à nouveau s'appuyer, Jürgen Zarusky, a puissamment réfuté les arguments de Snyder dans l'essai même que Snyder cite. Contredisant explicitement les tentatives d'assimiler les régimes soviétique et nazi, en particulier au sujet du pacte de 1939, Zarusky a insisté sur le fait que c'était « Hitler qui avait le dessus en 1939 et qui était la principale figure déterminant la dynamique des événements par son attitude belliqueuse [ kriegstreiberische Haltung ]. »[18]

Zarusky cite l'évaluation d'un autre chercheur qui a noté: « Hitler serait entré en guerre en 1939, avec ou sans le pacte avec Moscou. […] En 1939, il avait peur de la paix, pas de la guerre. Zarusky a ajouté :

Néanmoins, le pacte, bien sûr, a énormément facilité les plans d'Hitler. Cela a atténué le danger d'une guerre sur deux fronts et la coopération stratégique et économique qui a suivi a apporté à l'Allemagne des avantages significatifs. Une métaphore couramment utilisée dit que Staline a donné à Hitler « le feu vert » pour l'attaque contre la Pologne et, par conséquent, le début de la Seconde Guerre mondiale. C'est vrai, mais à l'été 1939, Hitler avait prouvé – pour s'en tenir à cette métaphore – qu'il n'était pas un conducteur qui s'arrêterait même à un feu rouge si cela menaçait de retarder son propre plan. [19]

En effet, le véritable crime de Staline a été de permettre à Hitler de rester aux commandes de la politique européenne. La politique d'ultra-gauche consistant à dénoncer les travailleurs sociaux-démocrates en Allemagne comme des « social-fascistes » – corollaire de l'aventure économique d’ultra-gauche de la collectivisation – avait empêché un front uni des travailleurs socialistes et communistes en Allemagne pour lutter contre la menace fasciste. En conséquence, le plus grand mouvement ouvrier de tous les pays impérialistes fut paralysé et les nazis ont pu arriver au pouvoir sans résistance organisée de masse par le mouvement ouvrier socialiste et communiste.

Ensuite, la bureaucratie stalinienne, sous la bannière de la politique du « front populaire », a conduit les mouvements révolutionnaires des travailleurs en France et en Espagne sur la voie fatale de la collaboration avec la bourgeoisie « démocratique » et vers une défaite certaine. Ce fut ce sabotage du mouvement ouvrier en Europe et le massacre de générations de dirigeants révolutionnaires en URSS et en Europe qui ont rendu possible l'avènement du fascisme dans plusieurs pays européens et créé les conditions de la Seconde Guerre mondiale.

Si une certaine affinité personnelle de Staline, le grand chauvin russe et meurtrier de masse des révolutionnaires, avec Hitler, le fasciste allemand et ennemi juré du mouvement ouvrier, a sans doute joué un rôle dans leur rapprochement, ce sont les manœuvres ratées et vouées à l'échec de Staline qui furent finalement la réaction de la bureaucratie à l'isolement de l'Union soviétique dans le monde, auquel elle avait fortement contribué par une série de trahisons de la révolution internationale.

Confrontée à une attaque imminente par l'impérialisme, la bureaucratie s'est tournée vers celui-ci au lieu de la classe ouvrière, afin de marchander une issue à un dilemme qu'elle avait elle-même créé. Aussi criminelles soient-elles, ces politiques n'ont pas changé le caractère de l'Union soviétique, qui était issue de la Révolution de 1917 en tant qu'État ouvrier, et qui a conservé cette origine historique et sociale malgré sa dégénérescence bureaucratique.

L’équivalence créée par Snyder entre Hitler et Staline, et entre le régime nazi et l'Union soviétique, n’est pas seulement fausse. Elle vise à effacer toute distinction entre le fascisme, le stalinisme et le communisme, trois phénomènes fondamentalement distincts. Le but ultime de la fausse équivalence entre communisme et stalinisme, et l'amalgame de distorsions, de demi-vérités, d'omissions et de falsifications sur les crimes du stalinisme, est de blanchir les crimes du fascisme – tant ceux des nazis que ceux de leurs alliés fascistes d'Europe de l'Est. C'est sur cet aspect sinistre de Bloodlands qu'il va maintenant falloir se pencher.

A suivre

Notes

[1]Vadim Rogovine, Stalin’s Terror of 1937-1938. Political Genocide in URSS, Detroit: Mehring Books 2009.

[2]Léon Trotsky, « The Beginning of the End » [Le début de la fin], octobre 1937. https://www.marxists.org/archive/trotsky/1937/10/begin.htm

[3]Rolf Binner , Bernd Bonwetsch , Marc Junge , Massenmord et Lagerhaft . Die andere Geschichte des großen Terrors, [Meutre de masse et emprisonnement dans les camps. L‘autre histoire de la Grande Terreur] Berlin: Akademie Verlag 2009, p. 134.

[4]Ibid., p. 132-133. Traduction de l'allemand par cet auteur.

[5]Une liste complète des noms des personnes exécutées a été publiée dans: VM Poleshshikov , Za semiu pechatiami . Iz arkhiva KGB , Vyktyvkar : Komi khnizhnoe izdatel'stvo 1995, pp. 15-19.

[6]Rolf Binner, Bernd Bonwetsch, Marc Junge, Massenmord und Lagerhaft , p. 134.

[7]Dans un autre cas, il se réfère à Morris comme source de l'affirmation selon laquelle le 'nombre total de décès' de Polonais en Biélorussie soviétique était de 61501. Mais Morris écrit que la 'perte' totale de la population polonaise – ce qui signifie un déclin démographique absolu – en Biélorussie soviétique était de 61501. Cette formulation ne suggère pas que toutes ces personnes ont été tuées. Beaucoup ont peut-être été déportés ou autrement emprisonnés et envoyés dans des camps. ICe n'est pas clair en fait et Morris lui-même insiste sur le fait que les données statistiques disponibles sur l'opération sont limitées. James Morris, « La terreur polonaise : manie d'espionnage et nettoyage ethnique dans la Grande Terreur », dans : Études Europe-Asie , Vol. 56, n° 5, juillet 2004, p. 759.

[8]Ibid., p. 762. Souligné par nous.

[9]Nikolai Petrov, Arsenii Roginskii , « L'opération polonaise » du NKVD, 1937-1938, » dans : B. McLoughlin et al. (eds.), Stalin 's Terror: High Politics and Mass Repression in the Soviet Union , Palgrave Macmillan 2003, p. 170. Souligné par nous.

[10]En 1924, Staline a déclaré dans un discours: 'Il est clair pour moi que dans la première lutte au sein du VKP (b), la lutte contre l'opposition opportuniste, les dirigeants du parti polonais ont soutenu sans ambiguïté l'opposition'. Cité dans Morris, « Polish Terror », p. 755.

[11]Trotsky a écrit un article important sur cette campagne. Léon Trotsky, « Bas les pattes devant Rosa Luxembourg », juin 1932. https://www.marxists.org/francais/trotsky/oeuvres/1932/09/baslespattes.htm

[12]Morris, « Terreur polonaise », p. 756.

[13]Rogovine , The Stalin Terror 1937-1938 , p. 316.

[14]Il est impossible de tous les détailler ici. Il convient de souligner cependant que bon nombre de ses sources en polonais sur l'occupation soviétique de la Pologne en 1939-1941 ont été écrites par des historiens affiliés à l' Instityt Pamięci Narodowej (Institut de la mémoire nationale, IPN), une institution financée par l'État polonais et connue pour son anticommunisme et son nationalisme polonais droitier. Celles-ci incluent “Za pierwszego Sowieta . Polska konspiracja n / A Kresach Wsochdnich II Rzeczpospolitej, de Rafał Wnuk, Varsovie: IPN 2007. Le livre a été publié dans le cadre de la commission de l'IPN sur les « crimes contre le peuple polonais ». Wnuk a été nommé professeur par le président polonais droitier Andrzej Duda du parti d'extrême droite Droit et justice (PiS). Un autre travail IPN référencé par Snyder est Pologne dzieci n / A tułaczych szlakach , 1939-1950, deJanusz Wróbel et Joanna Żelazko, Varsovie: IPN 2008.

[15]Roman Dzwonkowski, « Wprowadzenie », dans: Ibid., (éd.), Głód je represje wobec ludności polskiej n / A Ukraine, 1932-1947. Lublin : Towarzystwo naukowe KUL 2004, p. 5-36.

[16]ChezSnyder l'histoire de se trouve aux pp. 97-98, chez Dzwonkowski aux pp. 235-236.

[17]Dzwonkowski , Głód je represje wobec ludności polskiej n / A Ukraine, p . 168. Dans ce même passage de Snyder, il a également mal orthographié le nom d'une autre personne interrogée qu'il cite, 'Eleanora' devrait être 'Eleonora'. Son histoire est dans Dzwonkowski, Głód je représje, pp.151-160.

[18]Jürgen Zarusky, « 'Hitler bedeutet Krieg': Der deutsche Weg zum Hitler-Staline- Pakt » [Hitler signifie la guerre : la vie allemande au pcte Hitler-Staline] dans: Osteuropa , 2009, vol. 59, n° 7/8, p. 99.

[19]Ibid., p. 113.

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