Bloodlands de Timothy Snyder : de la propagande de droite déguisée en recherche historique – Troisième partie

Snyder banalise les crimes de la Wehrmacht d'Hitler

Partie I | Partie II | Partie III | Partie IV | Partie V

Ceci est la troisième partie d'une critique en cinq parties du livre Bloodlands (Terres de sang) de Timothy Snyder.

Sauf indication contraire, toutes les références de page renvoient à Timothy Snyder, Bloodlands: Europe Between Hitler and Stalin, 2e édition, New York: Basic Books, 2022.

La guerre d'anéantissement nazie contre l'Union soviétique et la justification du fascisme par Ernst Nolte

Le véritable objectif politique des fausses équivalences crées par Snyder entre stalinisme et communisme, et entre l'Union soviétique et l'Allemagne nazie, nous est révélé dans son récit de la Seconde Guerre mondiale. Dans Bloodlands, la guerre d'anéantissement nazie et les crimes de la Wehrmacht hitlérienne sont systématiquement banalisés et relativisés. Il en fait une «réaction» ou une « interaction » avec la violence du côté soviétique.

Les nazis ont attaqué l'Union soviétique le 22 juin 1941, déclenchant la guerre la plus sanglante de l'histoire de l'humanité. Le nombre de morts estimé parmi la population soviétique est de 27 millions, mais pourrait bien être plus élevé. La guerre a également marqué un tournant décisif dans le développement du génocide nazi des Juifs d'Europe. Moins de deux ans après le début de la guerre des nazis contre l’union soviétique, la quasi-totalité de la population juive d'Europe de l'Est avait été assassinée.

Les falsifications et les omissions concernant cette guerre dans Bloodlands ont un caractère absolument fondamental. Il est impossible de les énumérer toutes. Rappelons au lecteur que plus de la moitié de ses victimes ne figurent pas dans Bloodlands mêmecomme partie du bilan des morts causés par le régime nazi. Certains des événements les plus importants de l'histoire de cette guerre sont effectivement ignorés. Cela inclut la bataille de Stalingrad, qui a conduit à la première défaite majeure d'une armée allemande, en février 1943, et est largement considérée comme le début de la fin du Troisième Reich.

Le centre ville de Stalingrad après sa libération de l'occupation allemande.

Mais Snyder falsifie surtout le caractère de la guerre des nazis, qui était à la fois une agression impérialiste et une contre-révolution. Le mouvement nazi était historiquement issu de la réaction capitaliste à la Révolution d'octobre et des luttes révolutionnaires qu'elle a initiées dans toute l'Europe, dont la révolution allemande de 1918/1919. Le NSDAP (Parti ouvrier national-socialiste allemand) a été fondé en 1920 en Bavière, dans le sud de l'Allemagne, alors le centre de la terreur contre-révolutionnaire contre le mouvement ouvrier. Les tristement célèbres troupes de choc de la SA tirent leurs origines des unités de Freikorps (Corps francs). Celles-ci furent d'abord formées pour réprimer le mouvement révolutionnaire des travailleurs en Allemagne, puis pour aider la guerre de l'impérialisme allemand contre la République soviétique en Europe de l'Est, en 1918, par laquelle Berlin essaya de mettre une grande partie de la région sous son contrôle colonial direct.

Adolf Hitler et le prince héritier Wilhelm en 1933 lors de la journée de Potsdam [Photo de Bundesarchiv , Bild 102-14437 / Georg Pahl / CC-BY-SA 3.0 / CC BY 3.0 ] [Photo by Bundesarchiv, Bild 102-14437 / Georg Pahl / CC-BY-SA 3.0 / CC BY 3.0]

Très tôt, Adolf Hitler a expliqué le lien entre la répression sanglante du mouvement marxiste et ouvrier et la réalisation des objectifs de politique étrangère de l'impérialisme allemand. Dans un discours prononcé devant l'élite des affaires de Hambourg en 1926, Hitler a déclaré sans équivoque que la destruction du marxisme et du mouvement ouvrier – d'abord et avant tout en Allemagne même – était la condition préalable essentielle à la reconstruction d'un Reich [Empire] allemand en Europe. Il déclara:

C'est sur la base de cette reconnaissance que le mouvement que j'essaie de rendre grand et de porter au pouvoir a été fondé. Sa tâche est très étroitement définie: la destruction et l'anéantissement de la vision marxiste du monde. [1]

L'ampleur et la brutalité énormes de la guerre menée contre l'Union soviétique ne peuvent être comprises que dans ce contexte. Les objectifs de guerre géopolitiques et économiques de l'impérialisme allemand à l'Est pendant la Seconde Guerre mondiale étaient à bien des égards similaires à ses objectifs de la Première Guerre mondiale: le contrôle des ressources agricoles et des matières premières de l'Union soviétique – en particulier de l'Ukraine – était considéré comme la condition préalable essentielle à la capacité de l'impérialisme allemand à faire la guerre à ses principaux rivaux impérialistes, au premier rang desquels il y avait les États-Unis. Mais il était impossible à l'impérialisme allemand de prendre le contrôle total de ces ressources ou de contrôler la classe ouvrière allemande et internationale sans une réaction massive contre et la destruction du mouvement ouvrier socialiste et de l'Union soviétique qui, malgré les crimes horribles du stalinisme, restait un État ouvrier dégénéré.

En conséquence, la guerre contre l'Union soviétique a pris, dans une large mesure, le caractère d'une guerre civile. La population soviétique et l'Armée rouge, malgré les crimes du stalinisme et la décapitation de l'Armée rouge dans la Grande Terreur, à la veille de la guerre, se sont soulevées pour défendre les conquêtes de la Révolution d'octobre contre l'invasion fasciste et la contre-révolution.

L'Europe de l'Est sous occupation nazie pendant la Seconde Guerre mondiale, (c) WSWS Media [Photo : WSWS]

En ce sens, en affirmant que le fascisme représentait une réaction à la révolution russe, Nolte n'avait pas tort en soi. Mais il a avancé ces arguments du point de vue que cette réaction justifiait les crimes du fascisme, recyclant effectivement ce que les nazis eux-mêmes avaient dit et écrit. Toute la guerre contre l'Union soviétique avait été justifiée par les nazis comme une « guerre préventive » et par la nécessité « d'anéantir le bolchevisme » et le « marxisme ». Nolte ne faisait guère plus que reprendre cette argumentation fasciste lorsqu'en 1987 il décrivait le national-socialisme comme une « réaction prévisible » à la révolution russe, qui « était essentiellement justifiée par le cours ultérieur de l'histoire ». Il écrivait:

… la relation au communisme, remplie de peur et de haine, était en effet la force motrice des sentiments et de l'idéologie d'Hitler […] et […] tous ces sentiments et ces peurs étaient non seulement intelligibles mais aussi, dans une large mesure, compréhensibles et, jusqu'à un certain point, même justifiés. [2]

Toutes les recherches historiques sérieuses sur les crimes du nazisme et sa guerre contre l’union soviétique depuis les années 1980 se sont développées en opposition directe à la tentative de Nolte de justifier le fascisme.

Dans ce travail, les historiens ont dû faire face au climat produit par la résurgence des forces d'extrême droite dans toute l'Europe, y compris en Allemagne et en Europe de l'Est, au lendemain de la dissolution de l'Union soviétique en 1991.

Il convient également de rappeler qu'en Allemagne de l'Ouest, les anciennes élites du Troisième Reich – de la magistrature à de nombreux politiciens, journalistes et universitaires – étaient fondamentalement restées intactes après 1945 et restaient profondément hostiles à tout jugement historique et politique sérieux des crimes du fascisme. En fait, en Allemagne, bon nombre des travaux de recherche historique les plus importants sur la guerre des nazis à l'Est et les crimes de la Wehrmacht n'ont été réalisés que dans les années 1990, soit près d'un demi-siècle après la chute du Troisième Reich.

Ce travail effectué par des chercheurs allemands, européens et nord-américains a été facilité par l'ouverture des archives de l'ex-Union soviétique qui détenaient de vastes documents d'archives sur l'occupation nazie de l'Union soviétique et sur l'Holocauste.

La recherche historique a établi avant tout deux faits historiques :

Premièrement, les nazis avaient des plans étendus et détaillés pour la guerre d'anéantissement contre l'Union soviétique qui violaient toutes les conventions de guerre établies et ne pouvaient être réalisés que par une politique de meurtre de masse, d'une brutalité sans précédent. Tous les niveaux de l'État et de l'armée allemands, ainsi qu'un grand nombre d'universitaires, ont été impliqués dans l'élaboration de ces plans et dans leur mise en œuvre. En d'autres termes, les crimes contre la population soviétique ont été planifiés par tout l'appareil d'État allemand, et non perpétrés dans une simple « réaction » à l'Armée rouge.

Deuxièmement, les forces locales de l’extrême droite, en particulier en Ukraine et dans les pays baltes, ont été profondément impliquées et complices des crimes du régime nazi, surtout de l'Holocauste.

Avec Bloodlands, Snyder cherche à réviser ce bilan historique. Il prétend à tort s'appuyer sur certaines des œuvres historiques les plus importantes produites durant le dernier quart de siècle. Mais en réalité, il entreprend une tentative systématique de minimiser les crimes des nazis et de leurs alliés fascistes, et de les présenter comme une simple « réaction » aux crimes du régime stalinien, reproduisant et même dépassant les falsifications et la minimisation du fascisme entrepris par Nolte dans les années 1980. Cette partie (troisième partie) traitera de sa relativisation des crimes de la Wehrmacht hitlérienne. La suivante discutera de sa tentative de blanchir les crimes des collaborateurs fascistes des nazis dans l'Holocauste en Europe de l'Est.

Le Plan de la faim des nazis

Dans la perspective de l'invasion de l'Union soviétique le 22 juin 1941, les nazis, s'appuyant sur l'aide d'universitaires allemands, ont élaboré le soi-disant « Generalplan Ost », ou Plan général pour l'Est, un modèle pour leur politique d'occupation et leurs objectifs de guerre. Un élément essentiel du Generalplan Ost était le soi-disant Plan de la faim, qui prévoyait la mort de faim et la déportation de 30 millions de Slaves. Ce plan, contrairement à la famine soviétique du début des années 1930, constituait clairement un acte de meurtre de masse prémédité. Pourtant, Snyder crée un faux parallèle entre les deux, et se livre à une extraordinaire minimisation du caractère criminel et brutal de la Wehrmacht. Il écrit:

L'homme de main d'Hitler, Göring, se comporta en septembre 1941 de manière étonnamment identique à l'homme de main de Staline, Kaganovitch, en décembre 1932. Les deux hommes donnèrent des instructions pour une politique alimentaire qui garantissait la mort de millions de personnes dans les mois qui suivirent. Tous deux ont aussi traité la famine que leur politique a engendré non pas comme une tragédie humaine mais comme de l’agitation ennemie. Staline et Kaganovitch avaient mis le parti ukrainien entre eux et la population ukrainienne en 1932 et 1933, forçant les communistes ukrainiens à assumer la responsabilité de la collecte des céréales et à assumer le blâme si les objectifs n'étaient pas atteints. Hitler et Göring ont placé la Wehrmacht entre eux et la population soviétique affamée en 1941 et 1942. ... Pour les soldats et les officiers subalternes, il n'y avait d’autre d'échappatoire que l'insubordination ou la reddition à l'ennemi, perspectives aussi impensables pour les troupes allemandes en 1941 qu’elles l'avaient été pour les communistes ukrainiens en 1932. ( p. 170)

Herbert Backe , secrétaire d'État et ministre au ministère de l'Alimentation et de l'Agriculture du Reich, connu comme «l'architecte du Plan de la faim». [Photo par Archives fédérales , Bild 183-J02034 / CC BY-NC-SA 3.0 ] [Photo by Bundesarchiv, Bild 183-J02034 / CC BY-NC-SA 3.0]

De plus, Snyder allègue que la Wehrmacht allemande n'a décidé de participer à cette entreprise criminelle qu'après le début de la guerre :

… c'est l'absence de victoire en Union soviétique qui a rendu la Wehrmacht inséparable du régime nazi. Dans l'Union soviétique affamée de l'automne 1941, la Wehrmacht se trouvait dans un piège moral, dont le national-socialisme semblait offrir la seule échappatoire. (p. 178, italique dans l'original)

Ces affirmations ne sont pas seulement fausses, elles constituent une tentative de ressusciter les vieux mythes promulgués pendant des décennies après la Seconde Guerre mondiale par la droite et l'establishment politique allemands au sujet de la soi-disant honorable Wehrmacht. L'affirmation officielle était que, dans la mesure où la Wehrmacht était impliquée dans les crimes du nazisme, elle ne s'y était engagée que contre sa volonté ou dans une « réaction » forcée aux « circonstances » et à la « violence » émanant du camp soviétique.

En faisant ces affirmations, Snyder prétend s'appuyer sur l'historien allemand Christian Gerlach, dont l'étude de 1250 pages sur l'occupation nazie de la Biélorussie, Kalkulierte Morde (Meurtres prémédités), est référencé près de 40 fois. Il s'agit là d'une tentative délibérée de Snyder de donner une fausse crédibilité à son révisionnisme historique droitier. Christian Gerlach a joué un rôle central dans la réfutation de tous les efforts visant à minimiser les crimes du régime nazi dans sa guerre contre l'Union soviétique. Son livre de 1999, Kalkulierte Morde, était une étude pionnière qui reconstruisait en détail à la fois les plans de guerre nazis pour l'Est et leur mise en œuvre en Biélorussie.

Contrairement à l’affirmation de Snyder que la Wehrmacht n'avait décidé de mettre en œuvre le Plan de la faim qu'à l'automne 1941 – des mois après l'invasion – Gerlach a documenté en détail que déjà en janvier/février 1941 – c'est-à-dire six mois avant l'invasion – tous les échelons de l'État allemand, y compris le commandement de l'armée, s'étaient mis d'accord sur les grandes lignes du Plan de la faim. [3]

Le Plan de la faim, écrit Gerlach, était « une composante inséparable du volet militaire de la guerre d'agression contre l'URSS et apparaissait comme la condition préalable à son succès » . L'assujettissement réussi de l'Union soviétique, à son tour, était considéré comme une condition préalable nécessaire à la capacité de l'impérialisme allemand à faire la guerre à la fois aux États-Unis et à la Grande-Bretagne. Calculant, à tort, que l'État soviétique s'effondrerait presque immédiatement après une attaque, les nazis étaient déterminés à affamer 30 millions de Slaves afin de garantir l'approvisionnement alimentaire de la population et de l'armée allemandes. Gerlach souligne que la réalisation de la politique économique et les crimes qui en résultaient – dont le Plan de la faim – « étaient dans l'intérêt de la Wehrmach », car c'était par la famine de la population soviétique que l'armée allemande serait approvisionnée en nourriture. [4]

Adolf Hitler lors d'une réunion avec la direction de l'armée allemande (Reichswehr) le 3 février 1933, trois jours après avoir été nommé chancelier. [Photo par Archives fédérales , Bild 102-00765 / CC BY-NC-SA 3.0 ] [Photo by Bundesarchiv, Bild 102-00765 / CC BY-NC-SA 3.0]

Pourtant, déformant Gerlach, Snyder insiste :

La Wehrmacht ne pouvait pas mettre en œuvre le Plan de la faim. [...] Les occupants allemands n'ont jamais eu la capacité de faire mourir de faim quand et où ils voulaient. […] Ils pouvaient appliquer la terreur, mais moins systématiquement que ne l'avaient fait les Soviétiques; il leur manquait le parti et la peur et la foi qu'il pouvait éveiller. Ils leur manquaient de personnel pour isoler les villes de la campagne. Et comme la guerre dura plus longtemps que prévu, les officiers allemands craignaient qu'une famine organisée ne crée un mouvement de résistance derrière les lignes. (pp.166, 168)

Ailleurs il note:

La Wehrmacht ne mettait pas en œuvre le Plan de la faim initial, mais affamait plutôt là où il lui semblait utile de le faire. (p.172)

Ces déclarations ne constituent pas seulement, encore une fois, une minimisation stupéfiante de la brutalité de la Wehrmacht, elles sont délibérément trompeuses. Il est certainement vrai que la Wehrmacht n'a pas pu mettre en œuvre « pleinement » le Plan de la faim, notamment parce que massacrer toute la population, dans ce qui est devenu une guerre beaucoup plus longue que les nazis s'y attendaient, aurait créé des défis logistiques pour l'approvisionnement alimentaire de la Wehrmacht. Mais elle a certainement essayé de faire de son mieux.

Snyder donne à nouveau la fausse impression que ses déclarations sur les supposés «échecs» de la Wehrmacht à mettre en œuvre le Plan de la faim sont étayées par les travaux d'autres historiens. Pourtant, Alex J. Kay, auquel Snyder fait référence, a au contraire souligné ceci:

il ne faut en aucun cas conclure de l'échec à faire mourir de faim trente millions de Soviétiques que la mise en œuvre de cette politique n'a pas été tentée. Les autorités d'occupation sur place savaient comment elles devaient traiter la population autochtone. Lors d'un discours tenu en 1942, le plénipotentiaire pour le déploiement du travail Fritz Sauckel a rappelé que lors d'une visite en Ukraine à la fin de l'automne 1941, toutes les autorités allemandes étaient convaincues qu'à l'hiver 1941/1942 « au moins dix à vingt millions de ces gens allaient simplement mourir de faim ». Lors d'une discussion à Berlin fin novembre 1941, Göring déclara au ministre italien des Affaires étrangères, le comte Galeazzo Ciano, que certains peuples devaient être décimés et que vingt à trente millions d'habitants de l'Union soviétique mourraient de faim durant l’année 1941. [5]

Parmi les villes qui ont fait l'objet de sièges pendant des mois, parfois des années, seules trois sont mentionnées par Snyder, et cela brièvement. Leningrad, la ville de la révolution, a été soumise à un siège de près de 900 jours, le plus long de l'histoire moderne. De plus, Snyder ne mentionne que l'estimation la plus basse du nombre de morts parmi les civils, un million, et ignore le fait qu'on estime à un million le nombre des soldats de l'armée rouge morts en défendant la ville.

Victimes du siège de Leningrad

En discutant le siège nazi de Kiev, au cours duquel les forces allemandes ont affamé la population, Snyder affirme même que les autorités soviétiques avaient été en 1933 plus brutales envers la population de la ville. Il écrit: « Les Allemands n'ont pas pu boucler la ville comme les Soviétiques l'avaient fait en 1933. » (p. 172). De nombreux autres sièges qui relèvent théoriquement du cadre géographique arbitrairement défini du Bloodlands deSnyderne sont pas du tout mentionnés. Parmi eux, le siège de la ville relativement petite de Pavlovsk, où 6 000 habitants sur 11 000 sont morts de faim, ainsi que le siège de Sébastopol en Crimée par des soldats roumains et allemands de la Wehrmacht, qui a duré huit mois.

Une autre cible centrale du Plan de la faim était les prisonniers de guerre soviétiques. Entre 3 et 3,5 millions de prisonniers de guerre soviétiques sont morts de faim en captivité allemande, et plus de 2 millions d'entre eux au printemps 1942, c'est-à-dire au cours des 10 premiers mois de la guerre. En fait, jusqu'au printemps 1942, le plus grand groupe de victimes des nazis n'était pas les Juifs, mais les prisonniers de guerre soviétiques. Ils ont été abattus et affamés systématiquement dans les camps et lors de marches de la mort à un rythme pouvant atteindre 300 000 par mois à l'automne et au printemps 1941/1942. Au cours de cette période, entre 85 et 90 pour cent de tous les prisonniers de guerre soviétiques en captivité allemande ont été tués.

Distribution de nourriture dans un camp aux prisonniers de guerre soviétiques affamés près de Vinnytsia, Ukraine (juillet 1941). [Photo par Bundesarchiv , Bild 146-1979-113-04 / Hübner / CC BY-NC-SA 3.0 ] [Photo by Bundesarchiv, Bild 146-1979-113-04 / Hübner / CC BY-NC-SA 3.0]

La responsabilité des nazis dans cet horrible crime est volontairement minimisée par Timothy Snyder. Il affirme que « ... les prisonniers de guerre soviétiques sont morts à la suite de l’interaction des deux systèmes ». (p. 381, italique dans l'original)

Ceci, encore une fois, est un rejet direct des faits historiques. Les historiens Christian Streit et Christian Gerlach, en particulier, ont fourni des preuves irréfutables de l'assassinat planifié et intentionnel de ces millions de prisonniers de guerre soviétiques aux mains de la Wehrmacht, dans le cadre du Plan de la faim. [6] Streit et Gerlach insistent également sur le rôle de la tristement célèbre «Ordonnance sur les commissaires», que Snyder ignore. Émise par la direction de l'armée allemande le 6 juin 1941, elle appelait ouvertement les troupes allemandes à assassiner les commissaires politiques soviétiques capturés.

Snyder fait référence à ces historiens, dont les travaux n'ont pas été traduits en anglais, mais omet de dire à ses lecteurs que ces deux éminents experts sur ce sujet ont catégoriquement rejeté ses principales affirmations.

L'occupation nazie de la Biélorussie et la guerre contre les partisans

Aucun pays, pendant la Seconde Guerre mondiale, n'a peut-être eu à subir autant de morts civiles, en termes relatifs, que la Biélorussie. Au cours des plus de trois années d'occupation, au moins 1,5 à 1,6 million de personnes ont été tuées sur une population de 9 millions, soit entre 18 et 19 pour cent de la population totale. Parmi eux se trouvaient entre 500 000 et 550 000 Juifs biélorusses (plus de 90 pour cent de la population juive d'avant-guerre) et 700 000 prisonniers de guerre. En plus du nombre de morts parmi les civils, on estime que plus d'un demi-million de Biélorusses sont morts en tant que soldats de l'Armée rouge.

Outre le génocide de la population juive et l'anéantissement systématique des prisonniers de guerre, le crime de guerre qui a fait le plus de victimes dans la population civile a été la guerre des nazis contre les partisans. Elle a entraîné le meurtre d'au moins 345 000 personnes et la destruction de plus de 600 villages. [7]

Il est peu de pays où la résistance partisane aux nazis durant la Seconde Guerre mondiale a eu des dimensions populaires aussi énormes qu'en Biélorussie. En 1943, le mouvement partisan s'était développé au point d’englober de larges pans de la population. Quelque 39,6 pour cent des unités partisanes étaient composées de paysans, 17 pour cent d'ouvriers, 20 pour cent d'intellectuels et 12,2 pour cent d'adolescents. [8]

Dans Bloodlands, Snyder lance une attaque virulente contre ce mouvement de résistance antifasciste. Il dénonce les partisans comme se livrant à une guerre «illégale» et les dépeint comme de simples bandits en maraude, qui ont délibérément pris en otage la population civile. Les partisans, affirme Snyder, sont autant responsables des centaines de milliers de morts civiles dues à la « guerre anti-partisane » allemande que les nazis eux-mêmes.

Snyder fulmine :

La guerre partisane était un cauchemar de la planification militaire allemande et les officiers de l'armée allemande avaient été formés pour adopter une ligne sévère. [...] La guerre partisane était (et est) illégale, car elle sape la convention selon laquelle les armées en uniforme dirigent la violence les unes contre les autres plutôt que contre les populations environnantes. En théorie, les partisans protègent les civils d'un occupant hostile; en pratique, ils doivent, comme l'occupant, subsister de ce qu'ils prennent aux civils. Comme les partisans se cachent parmi les civils, ils font subir, et ont souvent l'intention de faire subir à la population locale les représailles de l'occupant. (p. 233-234)

Dans un autre passage, il appelle la « guerre partisane en Biélorussie » un « effort perversement interactif d'Hitler et de Staline, qui ont chacun ignoré les lois de la guerre et intensifié le conflit derrière les lignes de front ». (p. 250)

Alors que Snyder commence son récit de la guerre allemande contre les partisans et la population civile de Biélorussie en déclarant «illégale» la lutte des partisans contre les envahisseurs, il consacre une phrase exactement aux plans de grande envergure des nazis pour leur conduite dans la guerre, et ne la qualifie même pas d’« illégale ». Il note avec désinvolture que « même avant l'invasion de l'Union soviétique, Hitler avait déjà déchargé ses soldats de toute responsabilité légale pour les actions menées contre des civils». (p.234)

Ce à quoi Snyder fait vaguement référence ici en une phrase brève est le « Kriegsgerichtsbarkeitserlass », connu en anglais sous le nom de Décret Barbarossa. C'était l'un des documents fondateurs de la guerre des nazis contre l'Union soviétique et il se classe parmi les documents les plus sinistres de l'histoire mondiale. Publié le 13 mai 1941 par le chef du Haut commandement de la Wehrmacht, le Generalfeldmarschall Wilhelm Keitel, ce document ne se contentait pas de « décharger les soldats de leur responsabilité légale » pour le meurtre de civils, il appelait explicitement à des représailles de masse contre la population civile soviétique et à l'anéantissement de villages et villes entiers. En termes sans équivoque, le commandement de l'armée allemande justifiait ces mesures criminelles en représailles contre la Révolution d'octobre et le mouvement socialiste et communiste en Allemagne même.

Le Décret Barbarossa ( Kriegsgerichtsbarkeitserlass ), publié par le commandement militaire allemand le 13 mai 1941.

Le décret stipulait :

1. Il n'y a aucune obligation d’engager des poursuites contre les actions de la Wehrmacht et de ses auxiliaires [des Gefolges ] contre des civils hostiles, même si l'action constitue en même temps un crime ou un délit militaire.

2. En jugeant ces actions, chaque action procédurale doit tenir compte du fait que l'effondrement de 1918, la période de souffrances subséquente pour le peuple allemand et la lutte contre le national-socialisme avec les innombrables victimes sanglantes du mouvement, ont tous été influencés de manière décisive par le bolchevisme et qu'aucun Allemand ne l'a jamais oublié. [9]

Selon les mots d'un historien :

Le décret Barbarossa autorisait chaque officier de l'armée de l'Est à ordonner l'exécution extra-légale de civils soviétiques, il autorisait des représailles collectives contre des villes entières et obligeait l'armée de l'Est à s'engager dans la réaction la plus radicale possible à tout type de résistance active ou passive. En éliminant toute forme d'application de la loi pour les crimes commis par des membres de la Wehrmacht contre des civils, le décret Barbarossa a transformé de facto les territoires occupés en un espace pratiquement sans loi, créant ainsi les conditions pour le règne allemand de la violence en Union soviétique. [10]

Snyder ignore non seulement presque tout de ce document, qui a joué un rôle crucial dans l'établissement et la prédétermination du caractère criminel de la politique d'occupation allemande à l'Est. En fait, il ne fait pas clairement référence ou ne cite pas celle-ci ni aucune des cinq ordonnances criminelles qui ont formé la base de la conduite de la Wehrmacht dans la guerre d'anéantissement. Elles comprenaient en particulier le Décret Barbarossa (13 mai 1941), les directives pour la conduite des troupes à l'Est (19 mai 1941) et l'ordonnance sur les commissaires (6 juin 1941), qui ont toutes été publiées plus d’un mois avant le début de l'invasion. Elles ont placé la guerre de la Wehrmacht en dehors de toutes les lois et conventions internationales établies.

Au lieu de cela, il consacre une grande partie de son encre à dépeindre les partisans comme des voyous et des gangsters, indifférents au sort de la population civile. En conséquence, Timothy Snyder réitère effectivement le trope de « bandits » qu’avaient propagé les nazis eux-mêmes pour justifier leurs représailles massives. Dans le processus, il fait des erreurs dans la traduction de documents nazis qui sont difficiles à expliquer sur la base de la « linguistique » ou de la simple négligence. Ainsi, il transforme « Feindtote », qui se traduit par « ennemis morts », en « partisans », et le terme « Bandenverdächtige », qui se traduit par « bandits présumés», en « suspects partisans » (p. 241). En d'autres termes, Snyder change simplement les termes « ennemis » et « bandits », qui sont aussi clairs en allemand qu'ils le sont en anglais, en « partisans ». [11]

Mais contrairement à ce que le professeur de Yale veut faire croire à ses lecteurs, la guerre brutale des nazis contre la population civile n'était pas une réaction aux partisans. Au contraire, c'est cette guerre contre la population civile qui fit gonfler énormément les rangs des partisans en 1943. Comme l'a noté un historien, cité par Snyder :

… les fondements de la cruauté et de la brutalité [de la guerre contre les partisans] avaient déjà leurs racines dans la structure de la guerre contre l'Union soviétique, qui avait été déterminée lors de la phase de planification.[ ...] La brutalisation fondamentale et systématique de la guerre a été déterminée par les objectifs de guerre allemands et leurs moyens. [...] La cruauté des conquérants allemands a provoqué la résistance obstinée, et non l'inverse. [12]

Personne n'en a fait la démonstration de manière aussi convaincante que Christian Gerlach. Dans un chapitre de 200 pages sur la guerre des nazis contre les partisans en Biélorussie, dans son étude Meurtres prémédités sur l'occupation nazie de la Biélorussie, Gerlach conclut sans équivoque que la guerre contre les partisans constituait « un crime de masse, organisé par l'État [allemand] ». [13]

Un partisan biélorusse pendu, Minsk, 1942/1943. [Photo par Archives fédérales , Bild 146-1976-127-15A / CC BY 3.0 ] [Photo by Bundesarchiv, Bild 146-1976-127-15A / CC BY 3.0]

De plus, Gerlach a prouvé en détail que bon nombre des actes les plus horribles du meurtre de masse de la population civile, appelés « opérations antipartisanes », n'étaient pas tant conditionnés par le cours militaire de la campagne en soi, mais plutôt par les plans des nazis d'exploiter la paysannerie biélorusse pour fournir de la nourriture à l'armée allemande.

Pourtant, Snyder, qui, au mépris des archives historiques, a tenté de faire croire à ses lecteurs que la famine soviétique était le résultat d'une politique délibérée de meurtres de masse, ignore simplement le fait historique que des régions entières de Biélorussie ont été dépeuplées par les nazis parce que les paysans locaux n'avaient pas livré les quotas souhaités.

Selon Gerlach :

Du point de vue des Allemands, la tâche la plus importante des paysans biélorusses était de livrer les produits agricoles. Pour les civils non armés, leur forme de résistance la plus sérieuse consistait à ne pas livrer de produits. Ce n'est pas seulement qu'ils aient ainsi montré ou semblé montrer leur attitude politique: du point de vue des Allemands, ils avaient simplement perdu leur raison d'exister. [14]

Dans bon nombre des plus grandes «opérations anti-partisanes», des dizaines de représentants du ministère de l'Agriculture étaient présents pour réquisitionner les produits agricoles. En fait, beaucoup de ces opérations ont été ordonnées par le ministère de l'Agriculture, ciblant les fermes et les villages qui n'avaient pas respecté les quotas fixés par l’occupant nazi, parfois il s’agissait juste de quelques vaches manquant à l’appel.

Meurtre de masse de civils soviétiques près de Minsk, 1943. [Photo by Bundesarchiv , Bild 146-1970-043-52 / CC BY 3.0 ] [Photo by Bundesarchiv, Bild 146-1970-043-52 / CC BY 3.0]

La brutalité de ces « opérations » défie encore aujourd'hui l'entendement. Elles se sont profondément ancrées dans la conscience populaire de l'ex-Union soviétique et ont été la base de l'un des films anti-guerres les plus marquant du XXe siècle, Come and See (Requiem pour un massacre), qui dépeignait l'incendie d'un village et de ses habitants dans une telle opération « anti-partisans ».

Christian Gerlach a décrit ces opérations comme suit :

Le déroulement des massacres dans les lieux condamnés montre clairement que les unités allemandes et leurs aides ont procédé de manière organisée. Ainsi, dans pas mal de cas, il s'agissait de fusillades dans des fosses, menées à la mitrailleuse, et très similaires aux exécutions de Juifs par les SS, la police et la Wehrmacht. Dans d'autres cas, l'extermination a eu lieu dans des granges, des écuries ou des bâtiments plus grands, les Allemands brûlant parfois les gens vifs. Ces sites d'exécution étaient destinés à empêcher les victimes de se disperser et de s'enfuir. La troisième possibilité était que chaque famille soit placée en état d'arrestation dans sa maison et y soit tuée par balles – surtout à la mitrailleuse – et avec des grenades. Ensuite, les maisons étaient incendiées. Des escouades spéciales étaient chargées d'incendier les villages. Parfois, tous les habitants de chaque maison [d'un village] étaient enregistrés des jours auparavant et, dans certains cas, des camions à gaz étaient utilisés comme outils de meurtre. [15]

L'armée de l'air allemande a également participé à la destruction de villages, larguant des milliers de tonnes de bombes lors de milliers de raids.

Malgré cette guerre incroyablement brutale des nazis, et malgré le fait que Staline ait démantelé les écoles de formation de partisans ainsi que les stocks de munitions et d’armes pour la guerre de partisans pendant la Grande Terreur, les partisans soviétiques ont pu infliger des dégâts considérables aux efforts de guerre nazis. Il convient de noter à quel point Snyder et Gerlach évaluent différemment ce fait.

Pour Timothy Snyder, quel que soit le dommage que les partisans ont causé à l'effort de guerre allemand, ceci n’est qu’une preuve de plus du caractère criminel de leur entreprise. Il dénonce les partisans pour avoir fait sauter des locomotives et fait à nouveau référence à Gerlach. En revanche, Gerlach, dans le passage référencé, souligne que ces actions avaient des « conséquences à l'échelle européenne » et un effet sur l'issue de la guerre « qui ne devait pas être sous-estimé »: les partisans, avec leurs attaques contre les voies de chemins de fer et les locomotives, détruisaient chaque mois autant de locomotives que l'ensemble de l'industrie ferroviaire contrôlée par les Allemands en Europe était capable d’en produire à l'époque, sapant ainsi sérieusement l'effort de guerre nazi. [16]

Pour des raisons connues au mieux de lui-même, Snyder souligne de façon répétée que les Juifs fuyant les ghettos rejoignaient les partisans. « Les Allemands ont tué des Juifs en tant que partisans, et de nombreux Juifs sont devenus des partisans. Les Juifs devenus partisans servaient le régime soviétique et participaient à une politique soviétique visant à infliger des représailles aux civils. » (p. 250) Il est difficile de lire ce passage autrement que comme une insinuation que les survivants de l'Holocauste devenus partisans étaient à blâmer pour les conséquences de la guerre anti-partisane des nazis. Et il est difficile de croire que Timothy Snyder, qui travaille sur l'histoire de l'Europe de l'Est depuis maintenant près de trois décennies, ignore le fait que l'extrême droite est-européenne justifie régulièrement la violence fasciste pendant la guerre par la « participation juive » au régime soviétique.

La dépendance de Timothy Snyder de Bogdan Musiał

En effet, comme ce fut le cas dans sa fausse représentation des crimes du stalinisme, l'affinité des arguments de Timothy Snyder avec ceux de la droite est-européenne est quasiment impossible à nier. En fait, ses propres sources le démontrent. Alors que Snyder déforme et révise les recherches d'historiens comme Christian Gerlach, sa véritable source d'inspiration est l'historien de droite germano-polonais Bogdan Musiał.

Contrairement à Gerlach, qui a consacré l'essentiel de sa carrière à documenter les crimes de la Wehrmacht allemande, Musiał est surtout connu comme un opposant à la révélation des crimes de la Wehrmacht et du nazisme. Lorsque dans les années 1990 une exposition a révélé pour la première fois depuis 1945 en Allemagne toute l'étendue de la complicité de la Wehrmacht dans la guerre à l'Est, Musiał devint l'un de ses opposants les plus virulents et avança beaucoup des faux arguments qui servirent de prétexte à des politiciens allemands pour fermer l'exposition. [17]

Musiał est également connu pour être l'un des nombreux intellectuels polonais de droite qui se sont opposés à ce que soit révélée la participation des Polonais aux pogroms anti-juifs pendant la Seconde Guerre mondiale. Comme c'est typique dans l'extrême droite d'Europe de l'Est, Musiał a justifié les «émotions anti-juives» chez les Polonais par le prétendu «comportement auquel un certain nombre de Juifs s'étaient livrés» sous le régime soviétique en Pologne orientale. [18]

Malgré le passé douteux et bien connu de Musiał, son livre de 2009 sur les partisans soviétiques en Biélorussie est l'un des ouvrages les plus fréquemment cités par Snyder pour son chapitre sur les partisans. Comme à son habitude, Snyder cache à ses lecteurs la nature et les principales affirmations de l'ouvrage auquel il fait référence. Il y a de bonnes raisons pour cette décision. Musiał y fait deux affirmations centrales: premièrement, il présente, de manière subreptice, l'invasion nazie de l'Union soviétique comme une réponse à de prétendus plans de longue date pour « une attaque » tant de l'Allemagne que la Pologne de la part des bolcheviks.

Il écrit:

Tant à la veille de l'attaque allemande contre l'Union soviétique que dans les années 1920 et 1930, la conception militaro-stratégique d'une « guerre offensive » ou « la politique d'une offensive », c'est-à-dire d'une guerre d'agression à l'Ouest, était en vigueur en Union soviétique. L'Union soviétique a commencé au moins en 1930 à s'armer massivement pour faire [une guerre d'agression à l'Ouest.] [19]

Ce n'est guère plus qu'une version révisée du vieux trope selon lequel la guerre contre l'Union soviétique a été imposée à l'Allemagne par le Kremlin pour empêcher une attaque de la part de l'URSS. En fait, c'est la justification que les nazis eux-mêmes ont fournie pour l'attaque du 22 juin 1941, lorsque l'ambassade d'Allemagne a déclaré au Kremlin que l'invasion était une « guerre préventive ». S'il n'est pas allé jusqu'à adopter ouvertement la thèse de la «guerre préventive», Ernst Nolte a clairement voulu préparer le terrain à sa pleine réhabilitation. En 1987, il décrivait l'attaque contre l'Union soviétique comme une « bataille décisive objectivement provoquée et inévitable », qui devait être comprise comme une réponse préventive à ce que les nazis percevaient comme une menace permanente, remontant à la révolution russe et à la guerre civile. [20]

Mais Snyder n’omet pas seulement d'informer ses lecteurs de ce que représente ce livre de Musiał, il adopte encore, sans presque aucune modification, le deuxième argument central avancé par Musiał: que la campagne de meurtres de masse contre les civils biélorusses était une réaction de l'armée allemande à ce qu'il a appelé la « terreur des partisans ». Fournissant clairement le plan du récit de Snyder dans Bloodlands, Musial écrit :

Avec l'essor du mouvement partisan à partir de 1942, la situation de la population civile devint de plus en plus précaire. Les occupants allemands répondirent au phénomène d'une avalanche d’actions et d'attaques partisanes par des opérations de plus en plus grandes qui étaient théoriquement dirigées contre les partisans. C'est la population des régions contestées qui en devint la principale victime. [21]

Cette affirmation est non seulement fausse, comme cela a été démontré ci-dessus, mais elle fait partie intégrante de l'effort visant à présenter les crimes du nazisme comme une réponse et une réaction imposées, quoique quelque peu erronées ou «excessives», aux crimes des Soviétiques. Sous couvert de recherche historique, Snyder ressuscite tous les vieux arguments avancés au cours de l’histoire par l'extrême droite allemande et est-européenne pour minimiser et justifier les crimes du fascisme contre la population soviétique et la communauté juive européenne.

A suivre

Notes

[1]Werner Jochmann (éd.), Im Kampf um die Macht: Hitlers Rede vor dem Hamburger Nationalklub von 1919, Europäische Verlagsanstalt 1960, p. 102-103. Traduction de l'allemand par cet auteur.

[2]Ernst Nolte, Der europäische Burgerkrieg 1917-1945. Nationalsozialismus und Bolschewismus , Propyläen Verlag 1987, pp. 17, 16. Traduction de cet auteur.

[3]Christian Gerlach, Kalkulierte Morde, Die deutsche Wirtschafts-und Vernichtungspolitik in Weissrussland 1941 bis 1944, Hambourg : Hamburger Edition 1999, p. 63. Traduction de cet auteur.

[4]Ibid., pp. 75 et 51. Souligné dans l'original. Traduction de cet auteur.

[5]Alex J. Kay, « Le but de la campagne russe est la décimation de la population slave par trente millions: la radicalisation de la politique alimentaire allemande au début de 1941 », Politique nazie sur le front oriental, 1941 : guerre totale, génocide et radicalisation, éd. par Alex J. Kay, Jeff Rutherford et David Stahel , University of Rochester Press 2012, p. 115. Souligné par nous.

[6]Les œuvres les plus importantes à ce sujet sont celles de Christian Streit Keine Kameraden. Die Wehrmacht und die sowjetischen Kriegesgefangenen, 1941-1945, Dietz 1978, ainsi que Krieg, Ernährung, Völkermord: Forschungen zur Vernichtungspolitik im Zweiten Weltkrieg, Hamburger Edition 1998. Les deux ouvrages figurent dans la bibliographie de Bloodlands, mais leurs conclusions sont complètement déformées, voire carrément rejetées par Snyder qui omet de dire à ses lecteurs les conclusions réelles de ces études.

[7]Gerlach, Kalkulierte Morde , p. 1158. Dans Bloodlands, Snyder cite à tort Gerlach comme donnant le chiffre de 320 000 victimes de la guerre anti-partisane des nazis (p. 251, note 59).

[8]Gerlach, Kalkulierte Mordé , p. 862.

[9]Kriegsgerichtsbarkeitserlass. Traduction de l'allemand par cet auteur. URL : https://www.1000dokumente.de/index.html?c=dokument_de&dokument=0093_kgs&l=de

[10]Felix Römer , « Einführung zum Kriegsgerichtsbarkeitserlass ». Traduction de cet auteur. URL : https://www.1000dokumente.de/index.html?c=dokument_de&dokument=0093_kgs&l=de

[11]Les erreurs de traduction proviennent de citations de Moritz Felix Lück , « Partisanenbekämpfung durch SS und Polizei in Weißruthenien 1943: Die Kampfgruppe von Gottberg» in: Alfons Kenkmann, Christoph Spieker (Hg.), Im Auftrag. Polizei, Verwaltung und Verantwortung. Begleitband zur gleichnamigen Dauerausstellung – Geschichtsort Villa ten Hompel, Klartext Verlag: Essen 2001, p. 239. Il y a plusieurs autres erreurs dans ses neuf références à cet essai, mis à part le fait qu'il ignore complètement les principaux arguments de l'auteur. Dans une autre traduction incomplète qui déforme le sens de la citation originale, Snyder fait référence à Lück pour écrire que « ... en 1942, les villages qui leur étaient associés [aux partisans] devaient être détruits ‘comme les Juifs’ » (p. 240). Cependant, la citation de Lück se lit « comme les juifs et les gitans ». (p. 239), Snyder a simplement omis la moitié de la phrase. Dans tout le livre de Snyder, la politique génocidaire des nazis envers les Sinti et les Roms sont pratiquement ignorées.

[12]Moritz Felix Lück , « Partisanenbekämpfung durch SS und Polizei in Weißruthenien 1943 », p. 225. Traduction de cet auteur.

[13]Gerlach, Kalkulierte Morde , p. 967. Traduction de cet auteur.

[14]Ibid., p. 982-983. Traduction de cet auteur.

[15]Ibid., p. 915. Traduction de cet auteur.

[16]Ibid., p. 868-869.

[17]Pour en savoir plus sur cette exposition et sur le rôle de Bogdan Musiał dans sa fermeture, voir : Wolfgang Weber, « Le débat en Allemagne sur les crimes de la Wehrmacht d'Hitler », World Socialist Web Site, 19-20 septembre 2001.

URL de la partie 1 https://www.wsws.org/en/articles/2001/09/wehr-s19.html

URL de la partie 2 : https://www.wsws.org/en/articles/2001/09/wehr-s20.html

[18]Cité dans: Wolfgang Weber, « Le débat en Allemagne sur les crimes de la Wehrmacht d'Hitler », World Socialist Web Site , 20 septembre 2001. URL : https://www.wsws.org/en/articles/2001/09/wehr- s20.html .

[19]Bogdan Musiał , Sowjetische Partisanen, 1941-1944. Mythos und Wirklichkeit, Paderborn : Ferdinand Schöningh 2009, p. 34. Traduction de cet auteur.

[20]Nolte, Der Europeanpäische Bürgerkrieg , p. 460-466.

[21]Musiał , Sowjetische Partisanen, p. 31. Traduction de cet auteur. Il convient de noter que même si les arguments de Snyder et de Musiał se chevauchent, les références à Musiał regorgent à nouveau d'erreurs: sur sept références au livre de Musiał dans ce chapitre, quatre sont incorrectes ou seulement partiellement correctes. Dans le chapitre 7, «Holocauste et vengeance», la note 34 se rapporte aux pages 189 et 202 de Musiał . Ce devrait être aux pages 189-201. P. 202 n'est pas pertinent pour le passage de Snyder. La note 48 à la page 195 dans Musiał devrait être aux pages 195 à 207. La note de fin 49 à la page 212 dans Musiał devrait être aux pages 211 à 219. La seule note claire faisant référence à ce travail de droite est la note 50.

(Article original paru en anglais le 4 décembre)

Loading